Depuis 30 ans, de novembre à fin avril, un couscous de l’amitié (repas chaud et complet) est servi aux personnes en errances sur la place du marché des Capucins, à l’initiative de Monsieur Pierre Olivier et sa femme. L’association « le Couscous de l’amitié », devenue « Graines de Solidarité » en 2012, occupe un local au 46 de la rue Kléber. Hanifa en est la présidente depuis 2005.
Dans un petit bureau, au milieu d’un vaste espace rempli de cartons, de marmites, de jouets, de denrées notamment des produits frais, des fruits et des légumes, mais aussi des produits du quotidien, du savon et des couches, Hanifa nous reçoit avant la maraude du soir. Notre entretien est entre-coupé de coups de téléphones et de saluts aux bénévoles.
« J’ai du couscous qui me reste, est-ce que tu le veux ? »
Hanifa est une femme très occupée, rien ne doit se perdre et l’organisation est bien rodée. Hanifa a le sourire dans la voix et l’accent de Bordeaux bien prononcé. On sent qu’elle aime parler, mais pas dans le vide, ses mots vont à l’essentiel, son débit est rapide et un rire sonore ponctue souvent ses phrases.
Les activités de l’association se sont développées au delà de la campagne hivernale. Ce sont les colis alimentaires le jeudi soir et le samedi à 16H30 pour 40 familles au prix de 6 euros. Ces colis contiennent des denrées collectées après des boulangeries du quartier, des produits frais venus du MIN de Brienne et de la banque alimentaire. L’association fait aussi des maraudes, des ateliers cuisine, et propose des cours d’arabe et de français. Pendant le mois du ramadan, l’association cuisine le « repas pour tous » qui sera servi le soir à ceux qui jeûnent la journée. Ici tout le monde est bénévole, il n’y a pas de salariés, toutes les bonnes volontés sont les bienvenues pour aider dans l’une ou l’autre des nombreuses tâches quotidiennes.
Entrée dans l’association en 1994, Hanifa est mère de 2 garçons (de 24 et 20 ans) et elle a deux petits enfants. Assistante maternelle, elle travaille toute la journée en gardant quatre enfants, elle vit à Nansouty. Concilier sa vie familiale et sa vie associative n’est pas toujours facile ; Hanifa est fière de son action. Elle insiste aussi sur son voile, qui témoigne de sa foi et d’un autre combat, plus politique, qui consiste à montrer une autre image de l’islam, celle du partage et de la tolérance. Quand on lui demande comment elle est arrivée dans l’association, Hanifa avoue humblement qu’elle a vécu dans la précarité pendant plusieurs années. Bénéficiaire des restos du cœur et de la solidarité des autres, elle s’est promis d’aider son prochain le jour où elle s’en sortirait.
« Je n’ai jamais quitté cette association »
Hanifa éclate d’un rire sonore à la vue de son portrait « ah c’est pas mal ! » et ne manque pas de remercier Julie. L’énergie d’Hanifa vient de sa foi, de sa religion, mais aussi de son éducation, « papa et maman, ils étaient stricts ». Hanifa a ce pouvoir de la parole. Au début de l’entretien, elle nous a dit qu’elle ne parlait pas comme un livre, mais ses mots viennent du cœur et on sent rapidement qu’elle peut aider et ressourcer ceux qui la côtoient. « Je suis une oreille qui écoute beaucoup ». C’est pourquoi sa présence est autant appréciée par les bénévoles au sein de l’association et pendant les actions. Hanifa, c’est le cœur et la raison.
Nous évoquons ensuite la douleur et parfois la violence des gens en errance comme elle les nomme, ceux qui vivent dans la rue et qu’elle appelle aussi pudiquement les bénéficiaires. Ceux qu’on ne voit pas si l’on n’y prend pas garde, qu’on oublie trop vite aux premiers beaux jours quand la campagne hivernale des autres associations prend fin. La douleur est là et elle avoue ne pas s’être vraiment blindée depuis les années.
« Des fois j’en pleure, je me cache pour pleurer »
Hanifa prend soin de tous, des bénéficiaires, mais aussi des bénévoles. C’est pourquoi chaque année elle organise une excursion pour que les bénévoles se rencontrent et pour créer de la cohésion dans une équipe qui ne fait que se croiser. Certains bénéficiaires de l’association sont aussi bénévoles. Ils viennent cuisiner pour la soupe et puis repartent avec un colis. Ce cercle de la solidarité qu’Hanifa représente à elle seule, par son parcours, est le moteur puissant de son action. La dame de Cœur des Capucins n’a de cesse de donner son temps et son énergie, tout simplement parce qu’à un moment Pierre Olivier lui a tendu la main. Quand on évoque sa succession à la tête de l’association, Hanifa avoue n’avoir pas encore trouvé la bonne personne pour la remplacer. Pour elle, Graines de Solidarité est presque son troisième enfant, elle ne laissera les clés qu’à quelqu’un de confiance, déterminé comme elle à aider les autres. « On est que de passage » nous dit-elle d’un air confiant et serein avant de nous laisser repartir, le cœur emplit de sa voix et de son sourire.
Texte Caroline Cochet / Dessins Julie Blaquié / Projet « Elles Saint Jean »